♦♦ LIENS PREDEFINIS

Washington, 2012

« Laz', il faut qu'on parle. » lâcha-t-elle en pénétrant dans la cuisine alors qu'il était en train de boire une tasse de café. L'aube naissait à peine derrière les vitres, son regard se perdait à l'horizon, mais il n'avait pas encore dormi, rentrant à peine de mission. Il avait envie de ce café paisible, d'une douche et de retrouver un lit qu'elle aurait finalement déserté. Mais en l'entendant rentrer, elle s'était levée visiblement. « Lazlow. » insista-t-elle, le laissant se retourner pour finalement fixer sur elle un regard las, et réviser son analyse, elle n'avait visiblement pas beaucoup dormi cette nuit non plus. « Je suis crevé, je vais me coucher. » répondit-il laconique en renversant la fin de sa tasse dans l'évier d'un geste naturel pour pouvoir la glisser dans le lave-vaisselle. Elle inspira anormalement vite, mais il n'y prit pas garde. Cela faisait des mois qu'il ne la regardait plus. Après les engueulades, qui se poursuivaient sur l'oreiller, qui rythmaient leurs échanges, il avait finalement arrêté de la regarder, s'endormant contre son corps chaud sans même lui lancer un regard ou un geste tendre. Ils se détruisaient. La perte d'Olivia avait sonné le glas de leur histoire comme une funeste évidence. « Je t'ai trompé. » Elle l'avait jeté comme dans l'espoir d'être soulagé d'un poids qu'elle ne parvenait plus à supporter, tandis qu'une sourde tension s'étirait dans les épaules de l'ancien militaire, aujourd'hui membre de l'ESU.

Pourtant, ce n'était pas vraiment de la jalousie qu'il ressentait, mais de la colère. Celle-ci brûlait en lui en direction de cette femme, de leur vie, de cette putain d'existence qui le poussait à sauver tout le monde, mais qui l'avait laissé perdre sa fille, et à présent sa femme. « Avec qui ? » demanda-t-il après de longues minutes de silence, comme s'il était incapable de se décider sur ce qu'il devait en penser, comment réagir à cette nouvelle, et puis une curiosité malsaine était née en lui, celle-là même qui venait de le pousser à le questionner sur l'identité du coupable. Il laissa son regard aussi bleu que la glace revenir se poser sur elle, la regardant se trémousser légèrement mal à l'aise, mais il n'ajouta rien de plus, se contentant d'attendre. « Un démarcheur. » Ce qui voulait dire qu'elle lui avait ouvert la porte et qu'ils l'avaient fait... Une remontée de bile vint s'attarder dans sa gorge une brève seconde. « Quand ? » demanda-t-il comme précision subitement, dardant sur elle un regard appuyé. « Il y a deux semaines. » Deux... Il laissa ses yeux se rétrécir jusqu'à ce qu'il ne reste que deux fentes. La tasse qui n'avait pas eu le temps de terminer dans le lave-vaisselle avec son aveu destiné à soulager sa conscience se brisa dans l'évier. Mais cette trainée était en train de dire qu'elle avait baisé avec un autre dans leur maison... dans leur lit peut-être bien, ou alors sur le comptoir de la cuisine ou sur le canapé. Il avait envie de dégueuler, de la frapper, de... Sans un mot de plus, il sortit, se laissa submerger par l'air frais matinal avant de grimper dans sa voiture, d'allumer le moteur et de rouler. Il le savait, il aurait déconné sinon, il aurait perdu son calme, et son pied sur l'accélérateur n'allait sûrement pas lui dire le contraire, ni le nombre affiché au compteur.

Washington, 2015

Et ce fut cet instant précis que son téléphone choisit pour sonner. Inclinant son regard sur l'écran, il soupira à la vue du visage souriant qui lui faisait face... sa femme. Il laissa sonner, sans prendre la peine de répondre. Mais sitôt que la sonnerie cessa, elle recommença, avec ce même visage, ce même prénom, et cette même mélodie agaçante. « Allo. » fit-il d'une voix légèrement agacée. « Bonjour à toi aussi. » Il était vrai qu'ils ne s'étaient pas vus ce matin, puisqu'il était parti avant même qu'elle ne se réveille. Savait-elle qu'il ne travaillait pas ? Peut-être qu'au fond elle n'y faisait même plus attention. Il ne lui répondit que par un raclement de gorge qui signifiait clairement qu'il ne comptait pas s’appesantir sur des politesses. Ils en étaient trop loin à présent. Il n'y avait même plus de contact, à peine étaient-ils deux étrangers vivants dans la même maison. Elle avait pu penser qu'il lui revenait en un sens, du temps d'Alexa, mais tout ceci avait été réduit en fumée. « Je voulais te rappeler la soirée de ce soir. » La soirée... mais son regard fut happé vers la porte de l'immeuble et la vision qui s'en extirpa, ses cheveux soulevés légèrement par le vent et l'impression de sentir une odeur familière emplir ses narines. « Lazlow. C'est important pour moi que tu sois là. » reprit la voix au bout du fil, ayant sans doute pris sa non réponse pour une absence d'envie de lui rendre ce service. Ils en étaient là à présent... à donner l'illusion d'un couple quand chacun vivait ses propres relations, ses propres histoires de son côté. « J'y serai, ne t'inquiète pas. » répliqua-t-il avant de raccrocher sans attendre qu'elle lui réponde. La sonnerie reprit, mais il rejeta l'appel, passant son téléphone sur vibreur.