[Eileen] #3489 | We don't claim to be perfect but we're free

« Non », c’était sorti promptement, sans qu’il ait le temps de réellement penser sa réponse et s’il regretta son ton catégorique il ne le montra nullement. Ses dossiers dans les bras, droit et toisant la jeune femme de toute sa hauteur, Evan serra les dents dans l’espoir de lui montrer qu’il était clairement inutile d’essayer d’insister, la réponse serait la même. Cela sembla la décontenancée, elle qui l’avait toujours connu si ouvert et dévoué, mais après tout à quoi s’attendait elle ? A ce qu’il lui sourit de toutes ses dents en inclinant la tête avec dévotion et obéissance ? « Si tu veux bien m’excuser, j’ai des papiers importants à faire. » Il tournait les talons sans attendre une quelconque réponse, ou un geste, pressé d’en finir, de claquer la porte et de rentrer chez lui pour s’enfermer dans un mutisme presque maladif à s’abrutir devant la télé pendant que Jekyll se loverait sur son ventre. Le pauvre avocat en était à un point où cela le tentait presque de couper les ponts avec toute personne de la race humaine, mais il réalisa sa méprise quand son regard croisa celui d’Eileen, de retour au bureau, et qu’elle fit mine de se pendre alors que Cameron lui aboyait il ne savait quel ordre.
Evan avait tendance à trouver l’homme un peu trop pressant avec la jeune femme, mais il ne pouvait concrètement pas en dire grand chose, surtout s’il ne voulait pas risquer de se faire taper sur les doigts ou de perdre la place qu’on avait finalement accepter de lui donner au sein du cabinet. Il avait gagné un bureau personnel, c’était pas forcément le moment de jouer les idiots et de tout perdre, et pour quoi ? Pour une montée de testostérone et un combat de celui qui avait les plus beaux muscles? Il aurait perdu de toute manière puisqu’il était taillé en allumette, le drame de sa vie si on l’en croyait.
Le pire ça avait sans doute été pendant l’adolescence, quand tous les garçons de son lycée se faisaient les muscles et se taillaient des corps de rêves sans faire trop d’effort et que lui suer du front pour récolter quelques grammes et encore.. Il avait finit par se faire une raison, ça devait être dans ses gènes. Arthur avait récupéré l’intelligence et Thomas le physique. Evan, lui, il se contentait de combler les trous avec une aisance et une agilité qui en perturbé plus d’un. La seule chose positive dans cette affaire, c’était qu’à force de gratter du papier avec son stylo il se musclait le pouce et l’index.

L’ennui c’était qu’il semblait incapable de se concentrer, en témoigner les nombreuses ratures, les fautes et les barres de ses t qui atterrissaient sur les lettres suivantes. Reposant le stylo dans un geste las de la main, il s’amusa avec le bouchon en regardant fixement la porte face à lui. Il avait voulu paraître si sûr de lui, si confiant et ferme face à elle mais désormais tout ce qu’il lui restait c’était la culpabilité, parce que quelque chose dans le regard qu’elle lui avait lancé l’avait perturbé et il ne parvenait pas à mettre le doigt sur ce que c’était précisément. Evan n’avait jamais été très bon pour repérer les signes, de toute sorte, mais là il battait clairement des records. Dans un soupir appuyé il finit par laisser sa tête s’écraser sur la pile de papier et il fixa le mur en boudant, clignant des yeux avec une lenteur travaillée, suivant les mouvements des aiguilles de l’horloge qui pendait au-dessus de l’étagère. On avait beau en vanter les mérites mais la vie active d’adulte c’était franchement épuisant et le grand brun venait à en regretter le temps des couches et des tapis d’éveil. Il n’avait clairement pas le moral au beau fixe et si Cameron n’entrait pas dans son bureau pour lui autoriser à rentrer plus tôt, certainement qu’Evan aurait eu en tête de rester ainsi et de dormir, histoire d’être déjà sur le lieu de travail au réveil. Par politesse il se fit tout de même répéter l’ordre de rentrer une seconde fois mais pas une troisième, d’ailleurs l’homme n’avait pas fini sa phrase que l’américain avait déjà sa sacoche en main et qu’il saluait pour se précipiter dans l’ascenseur dans lequel un autre avocat venait d’entrer.

Il passa d’abord chez lui pour déposer ses affaires, nourrir Jekyll et regarder son mail mais après un message envoyé à Eileen, il claqua la porte de son appartement et s’arrêta au restaurant Thaï le plus proche pour commander des plats à emporter. Ce n’était pas un soir à rester seul, pas qu’il avait forcément en tête que cette soirée finisse dans le lit de la jeune femme, mais il ne se sentait pas de manger ses plats tout près en fixant l’écran de sa télé. Pas ce soir. Pas en ce-moment. Il n’était pas d’un naturel déprimé ou pessimiste, mais il lui arrivait tout de même d’avoir des chutes de moral, surtout depuis qu’il avait commencé à travailler au cabinet de Berkley. Tout lui avait semblé tellement plus facile quand il n’était qu’un étudiant, surtout qu’il avait choisi cette filière pour les mauvaises raisons. Peut être qu’il était parti trop tôt de la maison. Ah.. Et cette sensation d’avoir abandonné tout le monde derrière, même si désormais Arthur vivait à quelques rues de son immeuble et qu’il était plus simple pour lui de renouer avec son cadet.
Récupérant le sac que le serveur lui tendit, il paya le type, le remercia et reprit sa route pour rejoindre le quartier où vivait les soeurs Nolands. Cela pouvait faire des années qu’il claironnait ne plus avoir de sentiments pour Kloé, avant d’arriver devant leur porte il avait toujours ce même réflexe stupide de se recoiffer et de respirer son haleine, avant de jeter un oeil dans le miroir de l’ascenseur pour vérifier qu’il avait une bonne allure. Chassez le naturel, il revient au galop. Jetant un oeil au paillasson, il finit par lever le nez vers la porte contre laquelle il se mit à tambouriner dans un rythme d’un morceau d’Oasis, une vieille habitude pour qu’Eileen sache que c’était lui de l’autre côté. Appuyant son épaule contre le mur, il tendit le sachet sous le nez de la jeune femme qui lui ouvrit, le visage caché par les boites de nourritures qu’on devinait à travers le plastique transparent. « J’ai trouvé ça sur le chemin, y avait un nain qui portait un chapeau bizarre qui beuglait que c’était une livraison spéciale pour une certaine Nolands. J’me suis dis que j’allais être sympa et l’apporter pour éviter au nain de faire un détour sur son cheval. » Il finit par baisser le bras pour sourire comme un idiot.